09/01/2007

Sous terre en Sprague

Par Mister de Paris

Paris, cette nuit, est à nous, pour cinq heures, de l’arrêt à la reprise du service du métro, juste pour nous et nos culs déjà mâchés par les lattes vernies des banquettes du dernier des Sprague voyageur, 76 ans au compteur. Toutes les lignes nous sont ouvertes avec la bénédiction de la RATP. On fonce dans les tunnels, on bat des records de vitesse. Non que le Sprague soit capable de dépasser ses bons vieux 70 kilomètres-heure en pointe, juste qu’on ne s’arrête pas aux stations, qu’on file direct de Porte de la Villette à Place d’Italie, à fond, sans s’arrêter, le pied. Si on trouve plaisir à ce genre d’escapade, que dire des conducteurs et chefs de convoi auxquels nous confions notre nuit, voire notre vie ? Ils jubilent comme des gamins jouant au train électrique. Ils sont tous des anciens de la RATP, on tous démarré leur carrière sur Sprague, sont les derniers à savoir maîtriser, comprendre, sentir, pousser ce vieux yankee de métro made in USA et fruit des travaux du « père de la traction électrique » Frank-Julian Sprague .

Il en a bouffé de la galerie tout au long de ses 52 ans de carrière, Sprague, le ricain ; des centaines de millions de kilomètres de sa naissance en 1931 à sa mise au rancard par la RATP en 1983. Il en a avalé et régurgité du voyageur, du poilu, du prolétaire, de l’étudiant, de l’occupant, du résistant, du zazou, du yéyé, de l’enfant, du vieux, de l’amoureux, du mélancolique, du clodo ; même du riche, oui parfois, assis et discret dans la Première, couleur rouge sang. Il en a fait du chemin, le vieux métro, traversé trois républiques et ce, sans le moindre accroc. Les anciens l’assurent, le certifient, l’affirment : « Ses seuls morts furent les désespérés ». Ceux qui, en tête de station se jetaient parfois contre l’austère cabine de ferraille froide vert olive que rehaussait à peine l’unique fanal rond aux 60 watts économes. Il ne roule aujourd’hui, plus qu’une seule rame voyageur Sprague que l’on bichonne et sort parfois à la nuit pleine pour hanter le réseau déserté.

Certes, une poignée d’autres trains travaillent encore, à 80 ans passés, infatigables bêtes de somme dont le jaune luit en bout de galerie dans le verdâtre des chantiers d’entretien du métropolitain.

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